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Un témoignage d'une spectatrice de Représentation Expérience

Temps de lecture 5 minutes


"Nous sommes invités à une séance de « Représentation-Expérience ». Les artistes-consultants nous accueillent et nous expliquent ce qui va se passer. D’abord un spectacle sur une thématique d’actualité. Puis un échauffement. Puis nous pourrons venir sur scène rejouer le cours de l’histoire afin d’essayer d’en améliorer l’évolution initiale. Enfin un décodage sous forme de débat. Le thème d’aujourd’hui est « le sexisme ordinaire ». Le sexisme du quotidien, presque anodin, dont on ne mesure jamais vraiment sur le moment sa nuisance, dont on peine à signaler son pouvoir discriminant tant il est source de rires ou d’indifférence feinte. La pièce commence, elle dure 40 minutes. Je me surprends à rire.


Je m’attendais à une pièce lourde mais elle est pleine d’humour malgré la gravité du sujet. Ils ne nous ont pas menti par contre, elle termine mal, laissant le personnage féminin principal en larmes dans la dernière scène. Après un silence chargé, les applaudissements retentissent. Bravo. Puis un deuxième silence attentif... Il va falloir monter sur scène. Je ne pourrai jamais !

Les comédiens demandent la lumière dans la salle. Elle s’allume, découvrant les visages de nos voisins, parfois clairement émus... La comédienne qui s’adresse à nous depuis le début nous regarde. Celle qui pleurait a séché ses larmes et nous sourit aussi. C’est drôle de voir ce métier sous nos yeux. Elle pleurait il y a dix secondes avec une sincérité désarmante, et la voilà souriante, presque comme si de rien n’était...

La meneuse de jeu nous interroge : « Alors ? Que pensez-vous des choix de nos personnages ? Auriez-vous fait les mêmes ? » .

Nous avons sans doute tous la même appréhension de parler et de se voir inviter à monter sur scène.

Elle avait parlé d’échauffement pourtant. Je le rappelle à voix haute, elle me sourit : « Ravie que vous ayez hâte de jouer ! ». Je rougis, des rires. Quelqu’un lève la main : « ça rappelle tellement la vie ! ». Elle : « ah... c’est un bon début parce que c’est l’idée de notre méthode, partir de situations réalistes, vécues, afin de vous aider à vous en saisir collectivement. »

« C’est insupportable cette manière de lui parler ! A sa place je l’enverrai se faire voir ! »

Elle : « Alors justement, ce que l’on vous propose, c’est de nous faire part de vos suggestions, mais pas depuis votre fauteuil ! On vous propose de venir directement sur scène les tester : vous allez jouer votre idée à la place du personnage, pour essayer de sentir réellement ce qui se passe en vous dans cette situation ».


La salle s’agite.


C’est donc à nous de jouer maintenant... « Bien, pour vous faciliter la tâche, je vous propose de faire ce fameux petit échauffement ».

On se regarde, amusés et un peu méfiants je pense (pourquoi j’ai mis des talons ?!)


La comédienne nous invite à nous lever pour nous dégourdir les jambes. « Ce n’est pas de l’aérobic mais il va falloir jouer maintenant, et pour cela, même les plus grands comédiens ont besoin de s’échauffer, comme les sportifs, de sentir leur corps, leur voix, de se connecter à leurs sensations, leurs émotions ». On se réveille, on s’étire, on fait de drôles de gestes, des sons pour « réveiller nos cordes vocales », on rit bien j’avoue, et on s’applaudit bien fort après « le bouquet final » ! Chacun se rassoit, le sourire aux lèvres.

« Alors, y a-t-il un moment dans notre histoire où vous pensez que notre personnage victime de sexisme pourrait agir différemment ? ». Quelques voix s’élèvent faiblement et sont fortement encouragées... - « Peut-être devrait-elle dire non à son boss ? - Ah oui ? mais quand ? - Quand il lui demande d’aller présenter des excuses au client ? - D’accord. Vous voulez venir essayer ? Hésitation. Frémissement du public. On y est. La partie interactive a commencé. Nous sommes tous devenus des acteurs potentiels... - OK ! - Génial ! Comment vous appelez-vous ? - Marc ! - On applaudit Marc très fort » !

Ovation. Marc monte sur scène et se voit attribuer le foulard de « Julie », le personnage qu’il remplace. Rires dans la salle. Marc est Julie et va défendre la cause féminine, c’est la magie du théâtre. La pièce reprend. Silence. Le comédien qui joue « le boss » n’a rien changé à son jeu, son ton est condescendant, il appelle Marc « Julie » et ce dernier reste concentré sous nos yeux admiratifs. Sa prestation terminée, nous l’applaudissons. La comédienne lui demande s’il a pu aller au bout de sa proposition, « dire non » et nous écoutons attentivement ses retours. Une voix s’élève dans la salle : « Il faut carrément lui dire la vérité ». Nos regards se tournent vers une femme dans le public. - « Bonjour, comment vous appelez-vous ? - Oups... (rires) - On applaudit Edith ! » !

Et ainsi de suite... Nous reprenons différentes scènes au gré des inspirations des spectateurs. La comédienne est à notre écoute, nous inspire parfois, nous guide, mais ne juge jamais nos idées : elle interroge simplement les conséquences observées ou ressenties des acteurs et des spectateurs selon leurs propositions d’alternatives. J’ai plein d’idées, j’aimerais tellement y aller, mais c’est impossible... La scène m’attire autant qu’elle me fait peur. Je resterai spectatrice, tant pis.

Au bout d’une dizaine de remplacements, la séance interactive est terminée. Nous sommes invités à prendre une pause avant de passer au débat, « au décodage » de ce que nous avons vu. Le décodage commence avec une question dont ils disent qu’elle est rituelle : « Finalement, tout ce que vous avez vu et montré, avec un peu de recul, de quoi ça parle ? » - « De la violence du sexisme ! » J’ai pris la parole sans même m’en rendre compte !

(Sont-ce les quelques échanges que j’ai eus avec mes collègues la bouche pleine qui m’ont décomplexée ou le café qui agit, mais je me sens prête à parler !)


Le décodage ne porte pas sur nos comportements, nos attitudes, mais sur ce que nous avons tenté de faire évoluer. Ils ne demandent jamais « comment » mais « pourquoi ». Moi qui m’offusquais des comportements de chacun, j’essaie avec ce décodage de regarder les choses plus globalement, de comprendre ce qui rend si compliqué de s’accorder sur la gravité de ces phrases assassines au-delà de « qui » les prononce. Car c’est vrai, le sexisme n’appartient pas aux hommes.

Quelles croyances ? Quelles sensations ? Quelles émotions ? Quelles représentations du monde guident mes comportements ?


Je participe sans crainte et laisse chaque idée exister comme si j’y suis invitée par cette forme étonnante d’analyse. La subjectivité sera au cœur de la problématique...".


Témoignage recueilli lors d'une séance en 2018 à la Ville de Lyon .

Toute l’équipe de LAM-L’art du management remercie Laetitia pour son regard précieux.

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